Entretien avec Bernard Rouanet (Mai 2022)
Galerie de la Barbacane: Faisons connaissance !… Comment êtes-vous devenu peintre ?
Bernard Rouanet: Peindre et, au-delà, me sentir concerné par l’art visuel sous toutes ses formes est tout aussi vital que de respirer, ce qui n’est pas rien par les temps qui courent !… (rires…). J’ai eu la chance d’être initié par un “petit maitre local“ tenant de la facture la plus classique à l’époque. J’ai du admettre que reproduire sous sa directive et profiter de son coup de main personnel à mes propres œuvres est devenu très vite une impasse. Au début des années soixante des rencontres fortuites au sein d’un cercle d’artistes et d’amateurs d’art m’ont fait entrevoir qu’une autre voie était possible. J’ai commencé alors à me dispenser des contraintes spécifiques de l’art figuratif. Tout en entamant des études dites “conventionnelles“, j’ai continué à explorer les sentiers de l’art abstrait. Cela m’a valu quelques récompenses et reconnaissances et même une collaboration avec une Galerie parisienne. Un très long service militaire, des circonstances familiales douloureuses et l’obtention miraculeuse de mes diplômes me faire alors choisir la voie de la raison. Sans rompre totalement avec les ponts avec la pratique artistique, j’ai entamé une carrière dans le monde de l’entreprise puis suis devenu consultant. A l’issue de ma vie professionnelle, après une longue parenthèse, j’ai repris, il y a une dizaine d’années le chemin de mon atelier en même temps que de me plonger dans l’histoire de l’art qui n’en finit pas de s’écrire.
GdlB: Quel est le fil conducteur de votre pratique artistique ?…
BR: Plutôt que de grands discours, je préfère laisser parler les autres et partager avec vous quelques citations qui, faute d’avoir changé ma vie, nourrissent et confortent ma pratique… Tenez par exemple, Jean Paulhan dit : “les maitres anciens commençaient par le sens et lui trouvaient des signes… les nouveaux commencent par les signes auxquels il ne reste plus qu’à donner un sens…“ C’est simple et c’est clair !, non ?… (rires…). Je me sens également proche de Paul Klee quand il dit :“ l’art ne décrit pas le visible, il rend visible...“. Et puis, il y a cette pensée de Gerhard Richer qui me parle beaucoup : “Je suis épaté de voir à quel point le hasard est meilleur que moi… Lorsqu’il y a un heureux mélange d’accidents et de volonté, alors cela peut être satisfaisant, et je prends le risque que quelque chose se révèle…“. La démarche de Robert Ryman m’accompagne dans mon travail : “ Effacer, gratter, faire apparaître dans un surgissement. Avoir l’intuition. Rechercher l’équilibre et la rupture. Accepter de se laisser déborder. Accepter le désordre parlant du hasard pour subvertir le support. Utiliser et abuser du blanc comme lieu de lumière de la peinture et pour faire place au reste “.
GdlB: Quels sont ces maitres nouveaux que vous évoquiez à l’instant et qui inspirent votre travail ?
BR: Sans hésitation, je commencerai par la palette des Impressionnistes et de Francis Bacon, puis me vient à l’esprit la poésie de Cy Twombly, la technique de Gerhard Richter, les vibrations de Mark Rothko, la formidable liberté de Jackson Pollock, l’expressivité de Willem De Kooning… Et puis il y a aussi la folie de l’Art Brut, l’insolite et la folle audace des Surréalistes …
GdlB : Comment mettez-vous en œuvre tous ces enseignements dans votre travail d’artiste ?
BR: Le hasard suggère, propose, étonne, réjouit ou déplait. La “nécessité intérieure“ interroge, taraude, et finit le plus souvent par imposer sa loi non écrite. Les peintres me semblent-ils ne se départagent en fin de compte que par le dosage entre hasard et nécessité intérieure, qui quand il est réussi, s’appelle le talent. Pour ma part, mon dosage se traduit en actes par la nécessité qui s’impose à moi de faire avec les contraintes et les limites de ma pratique (support , outils, matière, gestuelle…). Le tout au service d’un projet qui a la fâcheuse tendance à se dérober au fur et à mesure de son avancé. Ceci est une manière de dire que, très souvent, le résultat obtenu ne ressemble en rien à celui rêvé ou même espéré… Certaines oeuvres peuvent advenir vite, très vite parfois…, quelques heures vont y suffire, d’autres seront reprises, retravaillées maintes et maintes fois… effacées, si nécessaire, jusqu’à s’étirer sur plusieurs mois. S’ensuivent alors des ruptures dans la facture, des retours arrière, des façons nouvelles… La palette change, le dosage blanc/couleur se transforme , les outils utilisés modifient la pose de la touche, le geste est plus ou moins retenu, l’effaçage devient une valeur sure. Le “Less is more“ triomphe le plus souvent. Pour ma part la question cruciale est celle du “stop ou go“. Combien de travail gâché par le geste en trop ou en moins. ! … Pour finir je dirais que, comme en politique, “la perception est la réalité“, celle de l’artiste et celle du spectateur. Mon vœu le plus cher serait qu’elles puissent coïncider le plus souvent possible….